Conseils en vain

Publié le par Emmanuel

Cette note se veut un avertissement à tout jeune blanc-bec qui s'aviserait de venir me défier sur mes terres, et oserait tenter de travailler dans cette contrée hostile où les hyènes ont le poil dur, les haricots le fil tenace, et où je mords.

En Géorgie, il y a un facteur à prendre absolument en considération si l'on veut bosser sereinement et efficacement : c'est l'alcool. Le bon journaliste aguerri -que je ne prétends pas être, mais j'ai inscrit tout ces objectifs sur mon prochain plan quinquennal- doit savoir l'utiliser à son avantage, contourner les écueils des sources de provenance inconnue en sachant profiter d'une source avinée pour en tirer l'essence. Je m'explique.

Leçon numéro un : tout reportage impliquant le dépassement technique, voire l'approche virtuelle du seuil d'un foyer familial, est immédiatement sanctionné d'un (les jours de chance) ou de plusieurs (les 364 jours restants) verres d'un alcool tirant entre 12° et 65°. Et ce à n'importe quelle heure, chez un peintre de grues de chantier comme chez une institutrice à la retraite. Méfiance donc face aux petites vieilles innocentes.

Leçon numéro deux : il est impensable de débarquer en Géorgie sans maîtriser sur le bout des doigts son arsenal d'excuses prévenant l'excès de boisson. Le plus simple et le plus efficace reste de passer pour l'Occidental aux dents de lait n'ayant aucune expérience ou résistance aux breuvages dont le degré d'alcoolisation dépasse celui de la Tourtel. Autre parade ayant fait ses preuves : l'excuse médicale. Votre médecin vous a interdit de boire parce que vous êtes anémique / vous avez un ulcère de quinze centimètres / vous mourez demain. Attention, cette excuse n'est valable qu'une fois et ne sert qu'à une personne. Soyez indulgent avec votre photographe.

Leçon numéro trois, la plus importante : tout interlocuteur est susceptible de se trouver, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit (en vertu de la leçon n°1), à une soupra, banquet en général copieusement arrosé, lorsqu'il vous répond au téléphone, ce qui le transforme aussitôt en une de ces sources -journalistiques- avinées dont je parlais plus haut. Et vous permet d'obtenir de lui à peu près tout ce que vous voulez. Une interview le lendemain à huit heures ? Aucun problème ! Il répondra à toutes les questions avec plaisir ! La politique de gestion des eaux et forêts en Khevsourétie ? Sa deuxième vocation ! Il en mange au petit-déjeuner ! Les plans de construction de la nouvelle centrale nucléaire ? Dans la poche ! Là encore, l'expérience vous sera nécessaire pour refuser, poliment mais soigneusement, l'invitation au restaurant où se trouve votre source qui suivra inévitablement.

Leçon numéro quatre : profitez-en quand même. Votre flair journalistique seul vous permettra de dénicher dans tel village perdu la famille qui fait ce petit vin artisanal si agréable à un point que vous n'auriez pas soupçonné, et où les filles de la maison sont ma foi fort sympathiques. Mais une dernière fois, mon honnêteté et mon expérience me poussent à vous délivrer cet ultime avertissement : je mords.

Publié dans tbilissi

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