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Aujourd'hui j'ai fait une rencontre comme on aimerait en faire plus souvent... quoique c'est peut-être leur rareté qui les rend si piquantes.
Depuis longtemps on me parlait d'une très vieille dame à Tbilissi, francophone, à la vie passionnante, qu'il fallait absolument que je rencontre, mieux; dont je devais m'occuper. Saisissant l'occasion d'un portrait à faire pour RFI, je m'en suis donc occupé.
Et de mes oreilles j'ai vu Marguerite, une vieille Arménienne de 95 ans au destin rocambolesque. Alitée, la voix chevrotante mais le regard sûr, elle m'a parlé de sa vie, de son enfance dans un sanatorium en Suisse, de son retour dans une Géorgie soviétique qu'elle ne connaissait pas, dont elle ne parlait pas la langue, de son arrestation et de sa déportation en Sibérie, puis des années passées à enseigner le français en cachette à Tbilissi... Français qu'elle continue à transmettre avec passion depuis son lit à quelques élèves qui sont devenus ses amis.
Une femme fascinante. A vous donner chaud au coeur quand elle ouvre la bouche. Le sel de la vie en coule et c'est tout simplement un enchantement. Sa manière de parler, précieuse, précise, sans aucun accent, décrivant tout et le reste, les actions, les pensées, les hésitations et les bêtises. Une langue parfaite, littéraire, qui crie à chaque syllabe l'amour de ce français qu'elle aime tant, devenu sa langue natale d'adoption, alors qu'elle n'a jamais connu la France.
Et elle, comme une gamine qui cache coquettement ses envies, faisait des tours et des détours, me plaignait, minaudait. "Mais je parle trop ! Vous allez avoir trop de travail pour trier tout ça, vous allez vous embêter !" Moi, du coin de l'oeil, j'avisais mon carnet avec gourmandise, pensant au temps que j'allais passer à lire et relire les bouts de sa vie, en démêler les ficelles pour en tisser un récit, piocher des sentiments et des paroles pour en refaire un être humain... que je puisse transmettre aux autres.
Bordel. C'est fou ce que ce métier me passionne.