Vogue là
A tout saigneur tout honneur, après la Jigouli je me devais de faire un article sur la Volga. Tout bien réfléchi, c'est même incroyable que je n'en ai toujours pas parlé sur ce blog. Je dis saigneur parce que c'est vrai que sous certains abords elle peut donner l'impression d'un char d'assaut, et qu'à son volant on se sent comme invincible. Mais en fait, c'est la voiture la plus classe au monde. Vous voyez les Castrolettes, ces voitures cubaines au capot bombé et à l'allure incroyablement élégante ? Ou bien les Mercerdes, les Limousine, les Volvo ? La Volga surclasse tout cela.
Attention, je parle bien de la Volga premier modèle, la "GAZ 21" (quoique la 24 ait ses charmes aussi, mais trop allemande à mon goût). Large comme le fleuve dont elle porte le nom, avec sa calandre audacieuse et entreprenante, sa carrosserie immaculée, ses chromes rutilants et ses deux banquettes destinées à accueillir confortablement sept passagers - ou deux, pour d'autres activités, disons, plus confortables... - elle est la reine des quatre-roues. Construite sur un bloc d'acier, elle a une espérance de vie quasi-illimitée, pourvu bien sûr qu'on lui prodigue les soins réguliers et attentifs qu'elle mérite.
Car c'est une grande gourmande. Amatrice de plaisirs simples, elle se contentera de la quinzaine de litres de super non raffiné dont vous l'abreuverez tous les jours. Mais c'est aussi une sportive. Boîte de vitesses sur le volant, accélérations taurines, et un ronronnement souple qui ne se compare qu'à celui d'un chat débordé de caresses.
La Volga n'est pas simplement une voiture. Elle a quelque chose de mythique. Comme dans la Bible, les premières générations étaient plus belles, et ont vécu plus longtemps. Comme Mars, elle a recueilli les sacrifices innombrables de Soviétiques reconnaissants, immolant leurs pièces détachées dans l'huile de vidange sacrée qu'ils recueillaient de Son réservoir. Comme Aphrodite, elle a servi plus d'une fois de temple à l'amour, et comme elle, elle a fait rêver l'homo sovieticus de père en fils. Les femmes la jalousaient mais rougissaient de fierté à l'idée de monter dans ce bolide lancé à tout allure vers le communisme total.
Il y a deux ans, sa production a été totalement arrêtée. Sur le bord des routes, certaines agonisent, délaissées par des propriétaires indignes (ou pauvres), souillées par des pièces de Jigouli, la carrosserie râpée et les suspensions rouillées, les enjoliveurs aux fraises. Mais bientôt, cette traversée du désert finira. Elle commence déjà à prendre de la valeur sur le marché d'occasion. Elle devient à nouveau l'icône qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être... A son bord on se sent comme un pionnier voguant à la découverte de l'ancien monde, et si à nouveau le déluge venait frapper les hommes, il n'y aurait qu'un seul refuge : l'Arche moderne, c'est la Volga.