Tchemi Jigouli*

Publié le par Emmanuel

En ce jour du calendrier où l'on a la résurrection facile, je voudrais vous parler d'un vrai miracle. D'un être que je n'ai fait qu'effleurer jusqu'à présent dans mes chroniques, et qui est pourtant le résultat d'une résurrection permanente. Ce petit être tendre et fragile, c'est la Jigouli.

Elle n'ose pas dire son âge. Et pourtant, à voir son pare-brise zébré de fissures ou l'état de ses portières, on devine les épreuves qu'elle a traversé. A chaque instant, à chaque tour de volant, on craint pour elle. La boîte de vitesse craque, la direction grince, les vitres tremblent et les suspensions parties aux fraises rendent toutes les aspérités du terrain, le moindre pavé, le plus petit nid de poule. On n'a pas vraiment peur pour soi, tellement on s'y sent étranger, géant, maladroit. On aurait plutôt tendance à s'attendre à ce qu'elle s'effondre sous notre poids, d'un instant à l'autre.

Chaque côte lui semble une épreuve, chaque dépassement une ordalie, et je ne parle pas des insertions sur voie rapide. Et pourtant, bon an mal an, elle roule, elle avance, elle relève les défis un à un - en grande partie grâce à la dextérité de son conducteur qui sait lui parler, et manie le starter comme un esthète la métaphore.

Car le chauffeur de Jigouli, lui aussi, est mince et fragile. Désespérément accroché au volant comme il se raccroche à la vie, il connaît tous les déboires de son véhicule et se précipite avant vous pour ouvrir d'une main leste la portière dont malgré toute leur bonne volonté, les non-initiés n'arriveront jamais à percer les secrets.

Les taxis en Jigouli sont les plus sympas - et les moins chers - que je connaisse. Hier soir, en pénétrant dans un de ces petits vélociraptors métalliques de ces temps oubliés où le peuple s'occupait moins d'opium que de mécanique, j'ai été brusquement pris d'un élan d'amour fraternel sans bornes pour cet homme et sa machine, toujours sur la brèche. Et devant la vision des innombrables brèches au centre du pare-brise, sagement disposées en croix, alors que les églises alentour étaient encore remplies de milliers de croyants en pack, je me suis dit, le coeur soulagé, que la vraie foi n'avait pas disparu. God save the Jigouli.

 

* Ceci est un jeu de mots en géorgien. Mon premier. Snif.

Publié dans tbilissi

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E
Bonjour Liana !Merci pour les compliments, mais je vais vous décevoir : ce n'était pas moi. Je suis bien venu à Tbilissi pendant la guerre, mais il y avait beaucoup de Français en même temps que moi à ce moment-là, et parmi eux beaucoup de journalistes. Quant à moi je ne vais jamais à Chardeni... :)
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L
j ai adoré cet article ! Je me présente je m apelle liana babluani et je suis d origine géorgienne ( svane ;) ) je suis tombé sur votre blog par pur hasard et j'adore vraiment  ,c est super bien écrit , plein d humour et aussi tres vrai! Je voulais vous demander , aussi, est ce que vous y étiez en aout 2008 peu avant la guerre?Ca m interesse car jy  étais et dans un restaurant a shardeni , à la table d' a coté jai vu une equipe de francais avec leurs apareil photo . Les chances que ce soit vous sont minimes mais cela m interessait beaucoup. Bravo pour ce blog. liana.
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N
Mééééé il est où mon commentaire ??<br /> J'avais mis :<br /> "j'adore les jigoulis sous les bras !" <br /> mais c'est plus là.
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M
Anyway, super contente de te revoir.<br /> Bizettes
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E
C'est bien ça, les Trabant... enfin c'est quand même un peu mieux les Jigouli, si tu fous un coup de latte dans la portière ça fait pas de trou :)<br /> Et puis non, la Jigouli c'est simplement la norme pour ceux qui ne peuvent pas se payer une BMW...
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